Nous avons rencontré l’équipe mobile du Fil d’ARIAAN dont le rôle est d’accompagner les mamans qui consomment de l’alcool pendant la grossesse. Une rencontre placée sous le signe de la Journée mondiale de sensibilisation au Syndrome d’Alcoolisation Fœtale (SAF), qui a lieu chaque année le 9 septembre.
Le fil d’ARIAAN*, c’est avant tout une équipe composée de Sylvie et Karine. Leur rôle : accompagner les mamans qui consomment de l’alcool pendant la grossesse, car une femme enceinte consommatrice d’alcool peut donner naissance à un enfant atteint de TSAF ou “troubles du spectre de l’alcoolisation foetale”. Qu’est-ce que le SAF ? Comment aider les mamans en prise avec leur consommation ?
SAF, troubles causés par l’alcoolisation fœtale : De quoi souffrent les enfants qui en sont atteints ?
“Ces troubles peuvent être multiples et leur forme varie d’un enfant à l’autre.
Parmi les enfants atteints de troubles causés par l’alcoolisation fœtale, certains vont souffrir de troubles de la coordination ou de la mémoire, d’autres de l’attention ou du raisonnement. La lecture des émotions ou la capacité d’abstraction peuvent aussi être altérées. Autant de troubles neuro-développementaux qui sont liés à l’alcool. La forme la plus visible des troubles causés par l’alcoolisation fœtale est le SAF, pour “Syndrome d’Alcoolisation Foetale”. Il s’accompagne de malformations, de particularités du visage et d’un retard de croissance (petite taille, poids insuffisant).
Selon leurs besoins, il va falloir dresser des bilans précoces, prévoir des séances de psychomotricité, d’orthophonie, de kiné…. Pour que l’enfant puisse se développer au meilleur de son potentiel à lui. Si on met en place une rééducation assez tôt, ces enfants pourront développer des potentiels qui leur permettront d’avancer sereinement dans la vie.“
Comment éviter tout risque lié à l’alcool pour l’enfant à naître ?
Sur cette question plus qu’essentielle, c’est le Professeur Bérénice DORAY, directrice du Centre de Diagnostic de l’Ensemble des Troubles Causés par l’Alcoolisation Fœtale de La Réunion qui nous répond :
“Le SAF traduit une consommation au premier trimestre de la grossesse, période à laquelle tous les organes se forment. À cette période, il est fréquent que la femme ne connaisse pas encore sa grossesse. Elle la découvre le plus souvent vers 3 ou 4 mois. Elle diminue alors, voire arrête sa consommation, mais l’alcool a déjà pu engendrer des anomalies de développement du futur bébé. Les consommation plus tardives, 2ème ou 3ème trimestres, ne génèrent pas de malformation du cœur, du visage, etc. Mais l’exposition à l’alcool est dangereuse tout au long de la grossesse car le cerveau se construit tout au long des 9 mois. Le moment de la consommation va donc entraîner des troubles différents, mais ce n’est pas tout. La quantité d’alcool consommée a un rôle important : un seul verre peut faire des dégâts s’il est consommé à un moment clef de la grossesse et plus on augmente les verres, plus on augmente les risques. Le seul moyen de ne pas prendre de risque, c’est de ne pas consommer.”
Quelles sont les missions du fil d’ARIAAN ?
“Le fil d’ARIAAN a pour mission d’accompagner les femmes enceintes et les futures mamans qui souhaitent arrêter de boire en proposant une prise en charge adaptée.”
Les enfants atteints par les troubles d’alcoolisation foetale sont eux suivis par l’équipe mobile SAF, au Centre Ressources ETCAF.
L’équipe mobile fil d’ARIAAN mène également des actions de sensibilisation aux dangers de l’alcool pendant la grossesse, dans des structures telles que des écoles de la deuxième chance ou des missions locales. Elle intervient aussi dans des associations, foyers, où elle propose des ateliers, temps de parole ou échanges avec les femmes qui s’y trouvent.
Quelles conditions doivent être réunies pour que cet accompagnement soit efficace ?
“Notre rôle, c’est d’accompagner les mamans vers un parcours de soin, toujours sur le principe de la libre adhésion. Cette libre adhésion est essentielle. Si elles le font pour faire plaisir à quelqu’un, ou parce qu’on leur a dit que c’était mieux, mais qu’elles ne sont pas véritablement actrices dans cette envie de soin, notre premier travail sera alors de transformer leur perception des choses : elles doivent le faire pour elles, parce qu’elles ont la volonté de travailler sur leur consommation, c’est la seule manière pour que cela fonctionne !
Si elles sont dans le déni, elles ne pourront pas agir sur leur consommation. Il s’agit donc d’établir un lien de confiance entre nous et la maman : c’est ce qui va conditionner la réussite de l’accompagnement. Selon la réticence de la maman, quand il y en a, il faudra une ou plusieurs rencontres pour nouer des liens de confiance. Ce n’est qu’après qu’elles pourront entamer un travail de soin.”
Quel suivi pour les enfants ?
C’est l’équipe mobile SAF du Centre Ressources qui est en charge du parcours des enfants atteints du Syndrome d’Alcoolisation Foetale ou qui souffrent de trouves d’alcoolisation foetale.
Pour contacter le secrétariat :
- par mail : centre.ressources@favron.org
- par téléphone : 02 62 35 72 61
L’équipe mobile SAF et l’équipe mobile fil d’ARIAAN travaillent en étroite collaboration.
“[L’équipe mobile SAF s’assure] qu’un diagnostic est posé et qu’une prise en charge est mise en place lorsque c’est nécessaire. Cela peut être de la rééducation, un suivi psychologique ou médical.
C’est parfois le suivi d’un enfant qui va nous amener à accompagner ensuite la maman, ou cela peut être l’inverse.”
Qui sont les mamans qui viennent vous demander de l’aide, et quel type d’aide pouvez-vous leur apporter ?
“Les femmes enceintes consommatrices d’alcool ont des profils bien différents. Il peut s’agir de femmes qui consomment de manière occasionnelle et festive, ou de façon quotidienne, seules ou entre amis, en famille… Il n’y a pas de profil type. Enfin, il y a encore beaucoup de mamans qui ne sont pas informées des dangers de l’alcool pour leurs enfants.
Mais pour chacune, notre objectif est le même : les accompagner, à leur demande, dans leurs parcours de soin.
Cela va commencer par une rencontre, ou plusieurs, à leur domicile ou à l’extérieur, selon leur envie. Une fois le lien de confiance établi, on définira leurs envies et leurs besoins. On aide chacune à construire son parcours de soin : de quel type de professionnel de santé ou paramédical a-t-elle besoin et où va-t-elle pouvoir être prise en charge ? Le plus souvent ce sera au sein des Centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA). C’est à la fois gratuit, anonyme et ces structures regroupent des professionnels de plusieurs disciplines (éducateurs spécialisé, psychologue, médecins, infirmiers…). Si ces centres en addictologie sont trop éloignés de leurs domiciles, on évalue ce que l’on peut mettre en place avec les professionnels libéraux du secteur.
Notre accompagnement ne se borne pas à la prise en charge de l’addiction à l’alcool. On s’intéresse à la santé au sens large, ce qui peut comprendre les conditions de vie par exemple et donc la mise en relation avec les travailleurs sociaux si nécessaire. “
Quand prend fin votre accompagnement ?
“Il n’y a pas de notion de temps dans notre accompagnement. Tant que la maman est demandeuse, nous pouvons intervenir. C’est l’intensité de cet accompagnement qui va être différent selon les moments. L’établissement du lien de confiance peut prendre plus ou moins de temps déjà, cela peut aller de 3 rendez-vous à plusieurs mois avant de véritablement commencer à travailler.”
Quel est le message à faire passer aux femmes enceintes et consommatrice d’alcool ?
“Quand vous êtes prêtes à vous interroger sur votre consommation, il y du monde pour vous aider . Il n’est jamais trop tard pour changer son comportement. Il ne faut pas penser que ce n’est “qu’une question de volonté” parce qu’il faut aussi être accompagné et écouté pour changer un comportement. Pour cela, il existe des professionnels.”
Comment aider une femme enceinte et consommatrice d’alcool de mon entourage ?
- Il ne faut pas proposer d’alcool à une femme enceinte. Même un verre de champagne pour Noël, pour son anniversaire ou à l’occasion d’un baptême comme cela se fait encore souvent.
- Si votre proche souhaite de l’aide, vous pouvez la mettre en relation avec des professionnels de l’addiction de La Réunion.
- Si ce proche est dans le déni, vous pouvez essayer de donner de l’information, d’inviter à la réflexion, mais on ne peut pas venir en aide à quelqu’un qui ne veut pas être aidé.
Projet de grossesse et consommation d’alcool : Faut-il consulter avant ou attendre la grossesse ?
Le Professeur DORAY recommande :
“L’idéal, c’est d’arrêter l’alcool dès qu’il y a un projet bébé et il est possible de consulter dès ce moment si l’on se rend compte que l’on ne parvient pas à arrêter seul.
Il est important d’arrêter l’alcool dès le projet de grossesse, parce que l’on ne sait pas quand va débuter la grossesse et parce que l’alcool est dangereux pour le futur bébé même avant la grossesse !
Attention, le papa est également concerné !
L’alcool est toxique pour toutes les cellules de notre corps, et les cellules sexuelles (spermatozoïdes, ovules) ne sont pas protégées. Plusieurs études ont en effet démontré que l’alcool perturbe l’expression des gènes dans le spermatozoïde, ce qui peut provoquer des malformations physiques comparables au SAF alors que la maman ne consomme pas. Les auteurs d’études récentes estiment que le papa devrait arrêter la consommation de boissons alcoolisées 3 voire 6 mois avant la conception.”
Arrêter l’alcool pendant la grossesse, n’est-ce pas plus dangereux pour le bébé et la maman ?
“Contrairement à l’alcool, le stress et l’anxiété n’entraînent pas de troubles ni de handicap chez l’enfant. Cela ne peut qu’être bénéfique au bébé et à la maman. Par contre, dans le cadre d’une dépendance physique à l’alcool, le sevrage de la femme enceinte devra être surveillé médicalement et être effectué en milieu hospitalier, comme tout type de sevrage.”
Les idées reçues auxquelles il faut tordre le cou ?
- “Boire pendant la grossesse fait monter le lait” : c’est faux ! Si le houblon peut avoir un effet, le fenouil et les lentilles aussi !
- “Le panaché c’est pas de l’alcool !” C’est également faux, même lorsque le degré est faible, l’alcool reste de l’alcool, et les effets seront là !
- La croyance que “juste un verre de vin” ne peut pas faire de mal à une femme enceinte, ou qu’un verre de cidre n’est pas vraiment de l’alcool, et que l’on peut même en proposer à un enfant…
Fil d’ARIAAN
– La prise de contact avec les éducatrices du Fil d’ARIAAN se fait généralement sur orientation par des professionnels de santé. Elles peuvent aussi être contactées directement :
Nord : 0693 06 14 27
Sud : 0693 39 58 90
– Pour qui ? Les femmes enceintes ou avec un désir de grossesse qui ne parviennent pas à stopper leur consommation d’alcool ou qui ont bu pendant leur grossesse et s’inquiètent des effets sur leurs enfants.
– Le Fil d’ARIAAN est financé par l’Agence Régionale de Santé La Réunion avec une participation de la Mildeca (Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives).
– A La Réunion, 2 à 3 enfants sur 100 naissent avec des troubles causés par l’alcoolisation fœtale et 1 enfant sur 1000 est atteint d’un Syndrome d’Alcoolisation Fœtale.
*ARIAAN, cela signifie : Agir contre les Risques Inhérents à l’Alcoolisation Anté Natale (ARIAAN)
Sources
Bielawski DM, Zaher FM, Svinarich DM, et al. Paternal Alcohol Exposure Affects Sperm Cytosine Methyltransferase Messenger RNA Levels. Alcohol Clin Exp Res actions 2002 Mar;26(3):347-51
Ouko LA, Shantikumar K, Knezovich J, et al. Effect of Alcohol Consumption on CpG Methylation in the Differentially Methylated Regions of H19 and IG-DMR in Male Gametes- Implication For Fetal Alcohol Spectrum Disorders. Alcohol Clin Exp Resactions 2009 Sep;33(9):1615-27
Zhang S, Wang L, Yang T, et al. Parental alcohol consumption and the risk of congenital heart diseases in offsping : An uptated systematic review and meta-analysis. Eur J Prev Cardiol, 2020 Mar,27(4):410-421
Tous nos articles sont rédigés avec l’aide de professionnels de santé de La Réunion.